Portrait à lire dans le Petit Journal

Un pays tourné vers la mer.  C´est une des caractéristiques du Portugal qui a attiré Christophe Sims. Enseignant en Bretagne il décide en 2008 de s´installer à Lisbonne, Commence un parcours d´intégration professionnelle qui se heurte à la lourdeur du fonctionnement des services publics. Cependant sa " nécessité de voyage " fait qu´il se considère tout à la fois un écrivain et un marin comme il nous l´explique lors d´un entretien


(Photo : M.J. Sobral)
Lepetitjournal.com/Lisbonne : 
Pourquoi être venu au Portugal et quelle est votre  appréciation, à l'heure actuelle, de votre séjour ? 

Christophe Sims : Mes premiers séjours au Portugal remontent à la fin des années 70. Après plus de 7 ans à faire la navette entre la Bretagne et Lisbonne, je me suis installé à temps complet ici depuis 2008. Exactement au début de la crise. Ça n'a peut-être pas été très malin.


Pourquoi le Portugal? J'ai du mal à en parler de manière raisonnable.Ce qui m'y a attiré et m'y lie serait plutôt de l'ordre de la passion, avec une pointe de sens de "apaixonado".


J'évoquerais dans le désordre:
 - La mer, d'abord, magnifique! L'océan immédiat, dans toute sa puissance et son immensité. Pour un amoureux de voile et de voiliers comme moi, c'est une évidence. 
 - J'apprécie aussi dans ce pays une certaine simplicité de vivre et la gentillesse légendaire des Portugais. Je suis très reconnaissant à mes amis portugais pour la qualité, la spontanéité et la chaleur de l'accueil qu'ils m'ont réservé alors que je ne parlais pas un mot de leur langue.
- Le pays me semble doux, calme, plus doux et calme que son voisin espagnol, par exemple, moins acide que la France, moins violent que les USA.- Le chant des fadistas, qui m'impressionne toujours autant.- Pour un gars du nord comme moi, les paysages du sud, la lumière, le soleil et les températures. La mer est (très) froide, certes, mais en général je me contente d'aller dessus, pas dedans!Ce que je sais, c'est que j'ai éprouvé un sentiment assez fort de retour quand je suis arrivé ici. C'est le thème de "Maria" un des livres que j´ai écrit.  

Pouvez-vous nous parlez de votre trajet professionnel au Portugal ? En particulier de votre expérience dans une structure d´enseignement portugaise, ce n´est pas très commun…

Comment raconter les choses sans leur donner irrémédiablement les tristes couleurs de la déception? 


En 2004, j'ai dû mettre un terme à un premier projet sur Cascais, pour deux grandes raisons. La première est la bureaucratie, endémique, avec son cortège de conséquences. La seconde tient au fait que, contrairement à ce que je croyais, la plupart des Portugais n'ont qu'un rapport très lointain avec la mer, et que la culture maritime du pays semble fossilisée, figée à l'époque des Descobrimentos et de Camões.
Au bout de 18 mois, j'ai fini par obtenir l'autorisation d'enseigner dans les établissements publics d'enseignement portugais. (Dans le cadre des accords européens, c'est une procédure qui ne doit pas pendre plus de 45 jours). Comme dit le proverbe: "Que ceux qui ont la patience attendent; quant à ceux qui ne l'ont pas, qu'ils l'apprennent."

Bref, enseignant spécialisé, je me retrouvais ici en terrain connu. J'ai renoué, non sans déplaisir ni quelques compétences, avec ces enfants et adolescents si différents qui font le sel de la pédagogie.
Je relèverais une différence de taille dans l'approche du handicap entre les législations françaises et portugaises, probablement liée à l'histoire différente des institutions des deux pays. L'option portugaise est d'aller résolument dans le sens de la scolarisation inclusive, là où la France se retrouve coincée au milieu du gué, assumant tant bien que mal l'héritage de ses structures d'enseignement spécialisé; (par exemple, les Classes d'Intégration scolaire (Clis) inventées en 1991 sont les descendantes directes des Classes de Perfectionnement créées en ...1909). Les institutions ont une sorte de mémoire.
Quand en Septembre 2010, la direction de mon Agrupamento Vertical me confie la création d'une Unité d'Enseignement Structuré pour adolescents porteurs de perturbations autistiques (Unidade de Ensino Estruturado de 2° e 3° ciclos com perturbações do espectro de Autismo), j'apprécie la confiance qui m'est faite. Il n'y en a que 33 sur tout le Portugal.
 

J'organise donc, - de zéro - la scolarisation de six adolescents, dont les capacités relationnelles et d'apprentissage sont atteintes avec des degrés différents.
Premier problème à la rentrée: "Não há dinheiro". Celle-là, je n'ai pas fini de l'entendre. Pas un sou pour acheter le moindre matériel adapté à ces élèves. Deuxième problème, alors que la législation prévoit la présence de deux enseignants spécialisés et deux auxiliaires pour la structure, je suis seul avec une seule auxiliaire. Du coup, on ne peut couvrir qu'un peu plus de la moitié de l'amplitude horaire de la structure.
Six mois plus tard, à la grande surprise de tous, je démissionne.
 

Je crois, comme Thucydide, qu'à force de résignation, on finit par accepter l'inacceptable. Pas sûr que cette opinion soit majoritaire au Portugal.

En fonction de votre expérience personnelle est-il plus facile de parvenir à une réalisation professionnelle en France ou au Portugal ?
(Photo : C. Sims)


Mon expérience étant singulière, je ne pourrais sérieusement la généraliser. Avec le recul, cependant, et pour essayer de répondre, il me semble que la qualité du tissu relationnel tant professionnel que personnel qui m'entoure et agit comme facilitateur ou catalyseur compte plus que les conditions matérielles ou nationales proprement dites.
 

Les conditions d'exercice d'un prof à l'université en France et d'un enseignant responsable d'une unité de scolarisation d'adolescents autistes au Portugal ne sont pas comparables.

La mer…  
A cause des cailloux, des courants et des marnages, naviguer à la voile en Bretagne par toutes saisons est en apparence plus difficile et compliqué que naviguer au Portugal.
 

Ici, on peut naviguer toute l'année dans d'excellentes conditions à l'exception de quelques rares jours de tempête. Cependant, quand la nortada souffle l'été, s'il fait très beau et chaud (c'est précieux en mer), il reste qu'il y  a souvent plus de 30 nœuds établis contre le courant et ça devient vite sportif. Dès que l'on sort du Tage, on sent immédiatement la puissance de l'océan: c'est au large de Cascais que j'ai rencontré mes plus grosses vagues (8 à 9  mètres).

L´écriture… Elle, s'alimente du voyage. Je ne ressens pas de différence d'un pays à l'autre. Ce que je veux dire, c'est qu’on n’a pas besoin d'être à Stratford upon Avon pour apprécier Shakespeare ou à Saint Malo pour redécouvrir Chateaubriand. Comme l'homme de papier, je voyage toujours avec des livres.
Un sentiment subtil me visite parfois. Ecrire en français à l'étranger donne peut-être un surcroît de saveur aux mots, comme si la langue agissait plus fortement.

Les problématiques que vous abordez sont-elles traitées de façon différente 
au Portugal ?

Conséquences des observations antérieures, la réponse est oui. Il faut être plus patient et moins agressif.

Pendant vos temps libres vous vous consacrez à l´écriture. Que représente pour vous l´écriture ? Quels sont vos projets dans ce domaine ? 

Je considérerais plutôt comme temps libres ceux que me laissent l'écriture et la mer. Pour moi, tant l'écriture que la mer appartiennent à la catégorie "choses sérieuses au monde". Mais ces addictions me posent un problème particulier: je ne peux pas les pratiquer ensemble. Ou je navigue, ou j'écris.
J'en déduirais que les deux activités renvoient à la même nécessité. Serait-ce celle du voyage? Malgré de nombreux contacts avec ce monde si délicieusement compliqué de l'édition française, je n'ai pas encore d'éditeur. Bon, il y a un moment où il faut sortir du bois et assumer ses écrits. Même si je ne crois pas à la disparition du livre annoncée depuis la naissance de la télévision, Internet impose à l'édition et au livre leur plus grande métamorphose depuis l'invention de l'imprimerie. Je me suis donc tourné, dès que cela a commencé à être possible, vers l'édition indépendante et l'impression à la demande.
Alors, en tant qu'écrivain et éditeur indépendant, je ne manque pas d'activité. Je suis en ce moment en train de rééditer sur The Book Edition, (qui, malgré son nom, est une entreprise française) l'ensemble de ma production qui était jusqu'à présent disponible sur Lulu.com, qui malheureusement, n'offre qu'une visibilité limitée aux littératures européennes. Dans le même ordre d'idée, saviez-vous que Apple refuse sur l'I-book Store les livres en français, sous l'unique et inique prétexte qu'ils sont justement écrits en français?

Un autre projet m'occupe beaucoup ces derniers temps, plutôt lié à la mer qu'à l'écriture. Il s'agit de faire le tour du monde à la voile au départ du Portugal. Le projet s'appelle "Ventos Iguais na Volta ao Mundo" (VIVAM) et vise à lutter contre les discriminations à l'égard des personnes porteuses de handicaps. 
Hélas, je n'ai pas trouvé dans les grandes entreprises et les institutions portugaises le support que j'espérais. On m'oppose généralement un "c'est la crise" (version sponsoring du "Não há dinheiro") définitivement négatif. J'ai couplé ce projet avec un projet d'écriture participatif, intitulé Lettres d'Outre Horizons (Cartas de Além horizonte), où les gens peuvent poster une lettre qui sera lue en haute mer. Une cartographie en ligne permettra à chacun de suivre ce voyage épistolaire.

Quel est votre sentiment à l´heure qu´il est ?

Je pense que si ça n'a jamais été très facile d'être portugais, c'est particulièrement difficile par les temps qui courent. Vous savez, de mon cheminement, je tire deux conclusions provisoires: la première est que par une sorte de charme maléfique, plus l'on sait, moins l'on sait… L'autre enseignement tient à la manière : Bachelard montre qu'on ne peut pas apprendre sans faire d'erreurs. Je vous laisse imaginer le nombre d'erreurs qu'avec le temps j'ai pu commettre et, comme on n'a jamais fini d'apprendre, toutes celles qui me restent à faire !

Propos recueillis par Maria Sobral avec la collaboration de Custodia Domingues (www.lepetitjournal.com/lisbonne.html) mardi 19 juillet 2011