Pourra-t-on encore étudier les manuscrits d'écrivains modernes?

Lu sur Slate, reprenant une inquiétude de Pierre Assouline pointant une des conséquences de l'informatisation de l'écriture: le risque de disparition des brouillons manuscrits par l'écrasement des fichiers successifs opéré par les traitements de texte, privant de facto les chercheurs de la jouissance de la genétique du texte.
Malgré son intérêt évident, cette discipline n'est qu'une forme de glose élucidative. Si l'examen des brouillons, des essais, des fausses pistes, des retours en arrière ou des illuminations soudaines pour passionnant soit-il, donne quelques idées sur la genèse d'un texte et donc le processus créatif de l'écrivain, il ne me semble pas pour autant que sa disparition soit à l'ordre du jour.
Tous les supports de l'écriture finissent par disparaître. on constatera simplement que les plus récents sont ceux qui ont la moindre espérance de vie, de l'ordre de la demi-décennie, si l'auteur ne prend pas de précautions. 
Je me souviens par exemple de "Zaïtchic", une de mes premières tentatives de roman sur ordinateur DOS. j'utilisais un des premiers portables, de la taille d'une petite valise et travaillais sous Sprint de Borland, si ma mémoire est bonne. j'ai conservé la vingtaine de disquettes de 3,5" sur lesquelles j'enregistrais au fur et à mesure le texte, car le fameux dinordinateur n'avait pas de disque dur. Elles sont aujourd'hui illisibles. Il ne me reste de cette tentative que quelques feuillets que j'avais imprimés par hasard et des éléments de brouillons manuscrits.

Au delà du fait que la plupart des écrivains manient encore la plume et le papier, la moralité de cette affaire est que, sauf à être un pisse copie logorrhéique, il leur faut, toute prétention bue, veiller à conserver systématiquement leurs ébauches et tous les brouillons, y compris en enregistrant systématiquement les moindres variations du texte s'ils souhaitent que les générations futures des chercheurs universitaires puissent se plonger avec délectation dans les arcades de leur écriture.

C'est un peu prétentieux, c'est surtout un peu vain. Je ne suis pas si sûr que chacun aimerait voir mis en valeur ses tâtonnements, ses erreurs, ses fausses routes, bref le cheminement intime et difficile de la pensée qui se construit et se fraie un chemin dans et par l'écriture. Seule importe au bout du compte l’œuvre achevée, au repentir près.

Dernière réflexion et elle est d'importance: les nouvelles technologies, pour aussi fascinantes et efficaces soient-elles, ont manifestement une espérance de vie inversement proportionnelle à leur complexité et à l'énergie qu'elles nécessitent pour fonctionner. 
De ce point de vue le livre papier, tellement primitif, tellement lourdingue et linéiaire, a encore de beaux jours devant lui, dès lors qu'il sera édité et imprimé avec un soucis de qualité.